jeudi 17 février 2011

Manuel Alvarez Bravo, le grand photographe mexicain!!!!

Manuel Alvarez Bravo
Frida Khalo, 1930
extrait du livre Photopoésie
© Actes Sud


Manuel Alvarez Bravo
Ouvrier en grève assassiné, 1944
extrait du livre Photopoésie
© Actes Sud



Manuel Alvarez Bravo
La bonne renommée endormie, 1938-39
extrait du livre Photopoésie
© Actes Sud



Manuel Alvarez Bravo
Le retable d'Artlatlaucan, 1950-58
extrait du livre Photopoésie
© Actes Sud


« Quand les yeux voient le cour ressent »


par Christian Caujolle

sur le livre Photopoésie de Manuel Alvarez Bravo


Enfin ! Un manque, sinon un oubli, est réparé avec la première grande (et vraisemblablement définitive, après on publiera sans doute des approches plus thématiques et analytiques) monographie consacrée aujourd'hui à Manuel Alvarez Bravo, le grand photographe mexicain disparu, à l'âge de cent ans, en 2002. La maison d'éditions Actes Sud vient de sortir Photopoésie.


Des livres sur son ouvre, il en existait, bien entendu, et des catalogues, depuis les années trente et jusqu'au magnifique - et introuvable - Cien años, cien fotos publié à l'occasion du centenaire de sa naissance. Mais rien n'embrassait l'extension de l'ouvre de celui qui fut avec André Kertész, Walker Evans, Henri Cartier-Bresson et Bill Brandt l'un des fondateurs de la photographie moderne. Il a d'ailleurs exposé avec l'américain et le français dès les années trente et a toujours entretenu leur amitié.

Non pas qu'il s'agisse d'un tenant de l'avant-garde à tout crin (encore que dans ses débuts ses « jeux de papier », la forme d'un « matelas » roulé et ses rayures, les tuyaux de l' « orgue de la cathédrale », la forme d'une « peau de mandarine » l'aient inspiré) dans le sens formaliste du terme appliqué par certains de ses contemporains en Allemagne, en Russie, en Italie. Mais, ayant saisi la souplesse et l'extension du champ de la photographie, il s'en empara pour explorer le monde, le morceler, l'interpréter avec une vision claire qui refusait absolument un pictorialisme certes sur le déclin, mais toujours aux aguets. Il réinventa le monde devant son objectif. Mieux, il réussit à faire percevoir, lui qui savait que la photographie est d'abord une organisation de formes, ce qu'il y a au-delà et à aller, visuellement, au plus profond d'une culture singulière, la sienne et celle de son pays.

Le fort volume à l'italienne, à la fabrication particulièrement soignée pour reproduire au mieux les vibrations de gris, réunit pas moins de 374 photographies, accompagnées de textes de sa veuve, Colette Alvarez Urbajtel, de l'irlandais John Banville, du français Jean-Claude Lemagny et du grand écrivain et diplomate mexicain Carlos Fuentes (c'est un dispositif de plus en plus classique par rapport à la recherche de coéditeurs). Il n'est pas chronologique mais se déroule avec souplesse, selon un rythme simplement visuel tout à fait réussi, en bel accord avec le contenu et permet au lecteur, qui cherche les dates, d'établir des correspondances entre certaines images, de déchiffrer des constantes, de s'approprier l'ouvre, au bout du compte.

Il est troublant, par exemple, que la femme dissimulée par les draps qui sèchent pour L'éclipse (1933) et la Fillette regardant les oiseaux (1931) aient le même geste de la main, le même angle du coude pour protéger leur regard. C'est l'une des caractéristiques de ce que l'auteur a su faire durant toute sa vie, avec la photographie.

Le livre permet de découvrir tous les aspects de cette création à la fois libre et rigoureuse, qui parle de la photographie et de sa nature sans appuyer le trait mais avec un sérieux profond (il en est ainsi, par exemple, de la Parabole optique de 1931). Tous ses grands classiques sont là, évidemment, mais on découvre bien des images qui déclinent, de façon parfois plus discrète mais avec une sensibilité toujours aussi juste, les thèmes qui n'ont cessé de revenir dans l'oil de celui qui fut ami de Tina Modotti (à qui il apprit la technique du tirage au platine), d'Edward Weston, de Frida Kahlo, des muralistes mexicains, à commencer par Diego Rivera et Clemente Orozco et qui suivit Eisenstein sur le tournage de Que Viva Mexico, qui fréquenta écrivains et penseurs et photographia en 1939 Léon Trotski, réfugié au Mexique où il fut assassiné.


On retrouvera les nus, des tout débuts jusqu'aux dernières années de ce vrai amateur de femmes qui ne portait jamais sur elles un regard vulgaire ou concupiscent, mais qui pouvait les immortaliser en référence à la sculpture, faire simplement d'elles un portrait troublant, les dénuder et à la fois les interdire par des linges, les choisir indiennes, noires ou à la peau claire. Comme cette célébrissime Bonne renommée endormie de 1938 avec ses bandelettes, qui fut l'un des chocs visuels d'André Breton (qui exposa l'image à Paris, en compagnie de pièces d'art précolombien et de créations contemporaines dès 1939) et lui fit affirmer que le Mexique était le pays du « surréalisme réel ».


Le surréalisme est évidemment l'une des pistes liée à l'imaginaire mexicain qui traverse l'ouvre dans son ensemble. Les titres soulignent cet aspect. Avec les chevaux de bois qui prennent vie sous la lumière et le cheval peint sur le mur et qui semble s'échapper au galop, l'indien du Temple du tigre rouge, nous apprécions les rapprochements inattendus, cocasses ou troublants. Dans la rue : une échelle posée contre un mur en pisée Pour monter au ciel (1970). On peut associer à cette direction la présence de la mort, de la tombe à l'ouvrier en grève assassiné (la seule image d'actualité sociale mais transcendée par le regard), des cercueils empilés à un crucifix en miettes sur le gravier d'un cimetière et au sourire d'une jeune femme qui, le jour des morts, présente une vanité en sucre.

Il y a aussi une relation très particulière, à la fois sereine et souvent étrange, à la nature. On le constate dans les paysages amples au rythme musical très savant mais qui devient une évidence et, surtout dans le motif du cactus et de l'agave, sans cesse décliné pour capter la vibration de la lumière, imposer sensualité et forme forte sans jamais tomber dans la démonstration ou dans le formalisme. Et puis les ombres, les ombres projetées sur les murs, comme allégorie et anticipation de la photographie. De façon parfaitement équilibrée, les thèmes s'interpénètrent, se contaminent les uns les autres, le nu, tout comme le paysage peuvent être magiques ou surréalistes et une vue de plante, ou son ombre, évoquer la mort. Il s'agit bien de magie, de ce « réalisme magique » latino américain que l'on a souvent célébré en littérature et prégnant dans toute l'ouvre, comme dans celle de son élève Graciela Iturbide (récemment primée par la Hasselblad Foundation).

La fille des danseurs (1933) et la fillette du Songe (1931), penchée à son balcon restent toujours aussi mystérieuses que le sommeil apaisé du Rêveur (1931), petit enfant des rues ou la concentration des enfants assis au bord de la scène, noyés dans la lumière de l'Acte Un (1975) ou l'équilibre des chapeaux en pile dans un magasin d'Otavalo, en Equateur (1984).

On pourrait parler de chaque image. Le livre propose des séquences éclairantes quant à la compréhension du processus de création de l'image définitive.
Manuel Alvarez Bravo
disait : « Tant que l'impossible n'est pas atteint, le devoir n'est pas rempli ». Lui a accompli, comme on dit en mexicain.

Manuel Alvarez Bravo, Photopoésie, par Colette Alvarez Urbájtel, John Banville, Jean-Claude Lemagny, Carlos Fuentes, Actes Sud, octobre 2008, 58 euros.

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