jeudi 17 février 2011

Elena Poniatowska : "Cher Diego, Quiela t'embrasse"


Portrait de Angelina Beloff par Diego Rivera 1909


Ce court roman épistolaire retrace une correspondance imaginaire à sens unique : douze lettres signées Quiela, adressées à un certain Diego. Quiela est le surnom affectueux que son mari Diego Rivera a donné à sa première femme, Angelina Beloff, avec laquelle il a vécu dix années tumultueuses à Paris, avant de l'abandonner sans un adieu, se contentant de lui adresser des mandats de temps à autre.

Angelina Beroff, jeune Russe émigrée en France afin d'y suivre les cours des Beaux-Arts, rencontre le Mexicain Diego Rivera, également peintre, génie charismatique à la personnalité flamboyante, monstre d'égoïsme et d'inconséquence. Ils se marient en juin 1911, vivent dans la pauvreté. Jusque-là passionnée par son art, qu'elle plaçait au-dessus de tout, Angelina se laisse progressivement déposséder d'elle-même. Elle lui prépare ses couleurs, s'efface devant lui, met tout en oeuvre pour lui permettre de déployer son talent. La jeune femme, subjuguée par son mari, vit dans son ombre, laisse s'étioler sa propre créativité, sous l'emprise d'un "monstre sacré" qu'elle place sur un piédestal. Russe francisée, elle va jusqu'à se mexicaniser sous son influence, et tolère avec amertume ses nombreuses liaisons. C'est que Diego possède cette surabondance de vitalité non disciplinée, doublée d'un égocentrisme forcené, qui l'amènent naturellement à prendre toute la place et à monopoliser l'attention, où qu'il soit. Tout lui est dû, estime-t-il, et sa Quiela lui passe tout. Mais il est également un visionnaire, inspiré, stimulant, et Angelina a l'impression qu'il lui ouvre de nouveaux horizons.

Lorsqu'elle tombe enceinte, il pousse les hauts cris : cet enfant l'empêchera de peindre par ses cris ! Mais il réalise plusieurs portraits d'elle enceinte, et après la naissance du bébé. Parce qu'ils ont faim et froid, un couple d'amis accepte de prendre en charge le petit Dieguito durant l'hiver. Malheureusement, le petit décède quelques mois plus tard, victime d'une méningite. Le chagrin d'Angelina est poignant, mais son mari, qui sème pourtant des enfants naturels çà et là avec désinvolture, lui refuse un deuxième bébé. Il finit par prendre le large, retournant au Mexique où il devient une grande figure nationale, tant par sa peinture que par ses engagements politiques. Son union durable, mais orageuse, avec Frida Kahlo, elle-même peintre de grand talent, contribuera à leurs gloires respectives, rejetant dans l'ombre ce premier mariage qu'il a eu tôt fait d'oublier. Lorsque, en 1935, Angelina se rend au Mexique, il la croise par hasard lors d'un concert, et passe devant elle sans la reconnaître... Rien d'étonnant à cela, les êtres trop généreux et qui s'oublient pour les autres sont rarement récompensés de leur patience et de leur délicatesse !

Ces lettres, pour apocryphes qu'elles soient, sont bouleversantes. Avec subtilité, l'auteur y laisse transparaître les personnalités respectives des protagonistes. Je sors de cette lecture avec un sentiment de tristesse et de colère. Mais quel gâchis, bordel ! Pourquoi faut-il que des femmes talentueuses et passionnées comme l'était Angelina Beloff s'infligent de tels tourments et sacrifient leur art pour des hommes qui ne leur apporteront au final que souffrances et poudre aux yeux ?

Elena Poniatowska, qui descend par son père du roi de Pologne, et est d'ascendance franco-mexicaine par sa mère, vit au Mexique, où elle est écrivain et journaliste. Elle est également très impliquée en politique.

Par Schlabaya

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